Des journalistes de la liberté sacrifiés sur l’autel de la lucidité
Je me permettrai de paraphraser Victor Hugo : ceux qui sont morts pour leur profession ont droit qu’à leur cercueil, la foule vienne et prie. Entre les plus beaux noms, leur nom est le plus beau…
Oui, Gislaine et Claude sont morts pour leur métier ; ils sont morts pour les valeurs du journalisme ; ils sont morts aussi, et ce n’est pas négligeable, pour leur passion pour l’Afrique.
Fauchés par l’obscurantisme des forces imbéciles qui donnent encore du crédit à la violence et à la haine comme autant de solutions possibles. Je m’incline devant leur mémoire comme l’ont fait avant moi beaucoup d’internautes, beaucoup d’auditeurs et beaucoup d’Africains.
Je veux dire à ceux qui les ont aimés, à leurs parents, à leurs amis, qu’ils ne sont pas morts pour rien ; leur disparition tragique ouvre davantage les yeux du monde sur les plaies de notre temps. « Il faut que notre sang s’allume, dit Kheteb Yacine ; que nous prenions feu, que les yeux du monde s’ouvre non pas sur nos dépouilles, mais sur les plaies des survivants… Car, des survivants, il en reste au Nord Mali ; les survivants de l’intolérance, les survivants de la peur, les survivants du sang et du silence.
Paix à ton âme, Ghislaine !
Paix à ton âme, Claude !
Qu’il me soit cependant permis de dire ici que ce qui est arrivé est la résultante d’une faute du gouvernement français ; on ne s’explique pas qu’aux premières heures de la libération du nord Mali, l’opération Serval ait en quelque sorte concédé aux Touaregs du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) que l’armée malienne ne puisse pas pénétrer à Kidal. Sans l’écrire de façon formelle, la France a permis au MNLA et à toutes les forces satellitaires de cette entité absconse d’établir leur ordre à Kidal en comptant sur la mise à l’écart de l’armée malienne, sur la réduction au silence et en inaction de la MINUSMA (les forces de l’Onu) et enfin, absurdité suprême, sur l’éloignement géographique des troupes SERVAL qui au fond, se cantonnaient aux portes de Kidal.
Quel arrangement a pu prévaloir à une telle absurdité ? La conséquence est que les forces qui ont agi samedi sur les journalistes de Radio France internationale (Rfi) ont compté sur cette géographie de la bêtise pour perpétrer un double crime auquel elles savaient qu’au moins temporairement, elles échapperaient.
Mais qui a tué ? Les jihadjistes d’AQMI ou du MUJAO (Mouvement pour l’unicité du jihad en Afrique de l’ouest) ? L’absence de revendication jusqu’à ce jour semble infirmer cette hypothèse sans parler du modus operandi qui tient généralement de la prise d’otages à des fins de rançon. Il eût été assez inconséquent que d’une main on libère et que de l’autre on tue, sachant la possibilité ouverte depuis, de prendre des otages et de se faire payer une rançon.
Des rebelles du MNLA hostiles à l’état malien et opposé aux accords de paix ? Tout à fait possible, et cela me paraît l’une des pistes les plus plausibles.
Mais l’hypothèse que des factions Touaregs favorables aux accords de paix et ne comprenant pas le statut particulier accordé à Kidal est tout à fait envisageable. Elles auraient alors commis ce crime pour contraindre la France à changer de posture et à amorcer un virage radical dans l’approche de la problématique Kidal. Approche qui jusqu’ici a été menée dans l’ignorance de la mentalité Touareg et des problématiques diverses qui s’y déployaient depuis plus de quarante ans.
Demain, Kidal ne sera plus ce qu’il est. Constat terrible qui aura nécessité le sang de Ghislaine et de Claude… Des journalistes de la liberté sacrifiés sur l’autel de la lucidité…
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