L’arnaque en ligne : un crime transfrontalier bien installé au Bénin
‟ Gaïman » : l’appellation est bien connue du commun des Béninois. Elle désigne les arnaqueurs du Net, des escrocs utilisant des moyens virtuels pour appâter leurs proies. De la première arnaque en ligne en 1997 à nos jours, la pratique a fait du chemin. Pour s’installer et se manifester à travers des actes répréhensibles jetant le discrédit sur l’éthique et la morale nationales. Nonobstant des préjudices financiers à l’endroit des victimes et des finances du pays. Incursion dans un milieu de haut vol.
Lundi soir. Godson[1] se prépare fébrilement. « Je ne dois pas être en retard », pense-t-il. Près de un million huit cent mille nouveaux francs CFA (un peu moins de trois mille euros) agrémentent son compte bancaire : le reste des dépenses en boîte le week-end, après un « coup » qui lui a rapporté la bagatelle de deux millions de francs, près de 3080 euros, le mercredi dernier. Le jeune homme, 21 ans à peine, connu comme le meilleur client d’un night club huppé de la ville, a rendez-vous. Il ne s’agit pas d’une quelconque galanterie inspirée par une St Valentin « maladroite », mais quelque chose de plus sérieux. Godson va rencontrer un de ses complices pour préparer un autre coup. Cette fois-ci, ils veulent « frapper fort. » Ils prévoient des annonces qui proposeront à la vente des villas sur la côte française et à Milan en Italie. « Pour nous, dit-il, pas question de sang humain, juste de la technique. » En comparaison à certains de ceux qu’il appelle « ses collègues ». Il s’agit, à l’en croire, de ‟ gaïmen » qui invoquent des vodous pour réussir leurs arnaques, vodous avides de sang…
De quoi vous donner froid dans le dos… Godson explique : « La preuve c’est que depuis que mon pote a commencé, ses affaires marchent fort ! Il s’est tapé 5 gros pigeons en moins de trois mois. Avec un minimum de 8000 euros à chaque coup. Il n’y a pas meilleure business…Mais moi je n’ai pas besoin de tous ces artifices, je procède autrement, je suis un véritable stratège. » A l’évocation des 3000 euros récoltés récemment par Godson, il se rétracte, avant de résumer : « Une affaire d’importation…sacré rêveur, je l’ai eu».
Pour qui jette l’opprobre sur Godson, il n’en a cure. Le « gaï », ça rapporte. « Et puis ça évite à plusieurs jeunes de devenir des braqueurs courant le risque de se faire trouer la peau un jour par les forces de l’ordre. En devenant des « gaïmen », ils gagnent bien leur vie, et sont peinards en rendant aux Blancs ce qu’ils nous ont fait pendant l’esclavage et la colonisation». Godson ne laisse rien transparaître de ses sentiments en menant cette réflexion. Il a le visage impassible. D’ailleurs, il ajoute, l’air serein, « je ne suis pas le seul à le faire, et il y a plus grand que moi dans ce business». Q on lui demande si cela ne lui pose pas des problèmes de conscience, il hésite puis glisse, les dents serrées : « Nous péchons tous».
Avant de démarrer en trombe au volant d’une 4X4 Acura, il lâche : « On devrait nous décorer. Nous faisons entrer l’argent dans le pays. Beaucoup d’entre nous créent des emplois. Et nous n’arnaquons pas des Béninois».
Le cas de Godson n’est pas isolé. Ils sont aujourd’hui « des dizaines, sinon des centaines », d’après des statistiques officielles confirmées par ces escrocs de l’Internet.
A ce rythme, si l’on multiplie la somme perçue par Godson par le nombre d’arnaques à succès par mois, multiplié par le nombre de « gaïmen » au Bénin, on peut se faire une idée vague des sommes considérables que ces gens, des jeunes pour la plupart, font entrer au Bénin mensuellement. Au nez et à la barbe de tous. Avec parfois la complicité de personnes indélicates en service dans les milieux financiers.
Effroyable évolution
Si aujourd’hui le sujet émeut moins qu’il y a deux ou trois ans, c’est du au fait que la population s’est quelque peu résignée à cette cohabitation malaisée avec les acteurs de cette activité illégale. Pierre Dovonou Lokossou, gestionnaire de projets technologiques, dévoile la genèse du phénomène au Bénin : « La première arnaque via le net a eu lieu en 1997, deux ans après l’implantation du web au Bénin. Il s’agissait d’un Nigérian qui avait escroqué un pasteur américain, en se faisant livrer des ordinateurs, des imprimantes et des bibles, en échange d’un chèque délivré par une banque qui n’existait pas, une banque fictive donc». De 1997 à aujourd’hui, ce qui était alors un cas isolé à l’époque est devenu un cas d’école. Dans la période de 2005 à 2010 notamment, le nombre de jeunes vidant les classes au profit des cybercafés a considérablement crû. Aujourd’hui encore, le phénomène est palpable. Les multiples descentes de la police n’ont pas découragé les malfaiteurs. A la sous-direction des crimes économiques et financiers (ex-Brigade économique et financière(Bef)), la cellule de lutte contre la cybercriminalité a déjà eu à effectuer plusieurs arrestations. De source proche de ce service de police, quelques-uns des auteurs de ces forfaits via le web croupissent en prison. En effet, la loi portant lutte contre la corruption, en ses articles 121 et 124 du chapitre XV dispose : « Des infractions cybernétiques, informatiques et de leur répression », condamne fermement ces pratiques.
Cependant, comme dans plusieurs pays du monde, les victimes ont parfois honte de porter plainte, se jugeant naïves. En outre, au Bénin, les proies se trouvent toutes ou presque…à l’extérieur du Bénin, notamment en Europe, ce qui rend les poursuites encore plus difficiles. L’appui en 2011 de l’ambassade de France à Cotonou pour un séminaire qui réunissait les policiers et gendarmes de pays africains autour de la question, suivie de formations sur le terrain en France pour certains d’entre eux, est une initiative isolée dans l’univers de cette lutte.
Au Bénin, outre l’arnaque sur Internet, les attaques de comptes bancaires sont un aspect récent des financiers. Plusieurs clients des banques de la place se découvrent parfois leur compte vide, en voulant effectuer une opération bancaire. Des informations qui sont confirmées de source policière reconnaissant néanmoins des avancées dans le domaine technologique au niveau de la cellule de lutte contre la cybercriminalité. Cependant, il est à noter que si les policiers s’activent, les arnaqueurs en font autant. Les cybercafés se vident des « experts » et des « parrains » pour laisser la place à de nouvelles pousses. Les plus aguerris eux, ayant engrangé plusieurs millions de francs au cours de leur parcours, se paient tranquillement des connexions à domicile pour travailler en toute tranquillité, à l’abri des regards indiscrets.
Des falsifications de documents aux relations haut placées, les‟ gaïmen » assurent avoir les moyens techniques qu’il faut et des entrées partout où besoin est, pour mener à bien leur sale besogne. L’on serait tenté de les croire, quand on voit certains hommes à peine sortis de la puberté venir avec des véhicules de luxe et gardes du corps chercher des « partenaires » venus de pays lointains. De source, bien informée, il s’agit là bien souvent de futures victimes.
L’arnaque en ligne est donc une réalité. Un ancien cadre du ministère des Finances français parlant sous l’anonymat a fait état de plus de 10.000 tentatives d’intrusion par jour dans les fichiers dudit ministère. Des tentatives de hacking, d’hameçonnage dit-il, en provenance pour la majorité du Nigeria et d’autres pays d’Afrique de l’ouest.
Pour l’heure, il est difficile d’avoir des chiffres exacts sur les conséquences économiques de ce fléau, même au niveau de la cellule de répression mentionnée supra, tant le réseau des arnaqueurs agit dans une nébuleuse.
[1] Nom d’emprunt.
Commentaires