Au Bénin, l’Etat part en guerre contre les trafiquants d’essence
Au Bénin, le pouvoir vient de déclencher une guerre contre les acteurs de l’essence de contrebande, ou « Kpayo ». Le but du gouvernement est de contraindre le trafiquants à tourner le dos à des activités hautement préjudiciables pour l’économie nationale, l’environnement et la santé. D’ici le 12 décembre, plus aucun vendeur d’essence « Kpayo » ne doit arpenter nos rues. Un ultimatum qui fait réfléchir quand on sait que durant des années, ce même pouvoir a pudiquement fermé les yeux sur ce trafic, pour des considérations diverses.
Et pourtant, les effets néfastes de la vente illicite du « Kpayo » sont bien connus. Le trafic alimente, de sources concordantes, plus de 85% du réseau de distribution de l’essence, avec un chiffre d’affaires annuel compris entre 600 et 700 milliards de francs Cfa échappant complément au fisc. Par ailleurs, plus de 120 millions de litres d’essence de contrebande sont vendus chaque jour au Bénin au bord des rues contre seulement 1,5 millions de litres par jour dans les stations services.
Si des milliers de Béninois en profitent puisque ce trafic leur permet d’obtenir de l’essence à bas prix, le commerce illicite de l’essence crée d’énormes manques à gagner pour l’Etat, en raison des pertes d’exploitation des compagnies agréées et des précédents environnementaux et sécuritaires graves, du fait des mauvaises conditions de transport et de vente du produit. Les pertes fiscales de l’Etat sont ainsi évaluées à plus de 175 milliards de francs Cfa par an.
Au regard de ces statistiques, on pourrait s’interroger en toute légitimité sur les motivations qui sous-tendent cette longue léthargie des gouvernants. Surtout qu’en 2007, la Commission de lutte contre le marché informel de l’essence avait tiré la sonnette d’alarme et les autorités politiques nationales au plus haut niveau avaient promis une reconversion d’activités aux acteurs de la filière, dans l’optique de sa suppression. Dans la foulée, des plans de reconversion furent même élaborés. Sans suite, hélas ! Face au poids du puissant lobby de l’essence frelatée sur l’échiquier politique national, le pouvoir a préféré battre précipitamment en retraite. La suite, on la connait.
La vente de l’essence de contrebande aux abords des rues, réponse sociale au marasme économique des années 1980, à l’instar du phénomène des zémidjan, n’a plus droit de cité dans notre pays. Le pouvoir n’en veut plus. Il a déjà du renflouer les caisses de la Société nationale de commercialisation des produits pétroliers (Sonacop) à hauteur de trois milliards de francs Cfa, histoire de lui éviter de mettre la clé sous le paillasson. Comme le gouvernement entend rentrer dans ses fonds, l’assainissement du marché devient dorénavant incontournable. Le pouvoir intègre cette réalité à ses priorités, et déclenche les hostilités, sans tenir compte des effets collatéraux inévitables dans ce genre de conflit. Encore qu’en dehors de Cotonou, Porto-Novo et environs, dans le Mono, le Couffo, le Zou et ailleurs, rien n’a véritablement bougé : le Kpayo a encore droit de cité et circule librement comme si de rien n’était.
Toute la question autour de cette problématique est d’évaluer le degré de détermination de l’Etat à en finir avec ce phénomène. Au-delà des élémentaires questions de sécurité et de manque à gagner que pose un tel commerce, c’est la crédibilité même de l’Etat qui est mis en permanence à épreuve. Aucun gouvernement depuis l’éclosion de ce commerce honteux n’a pu conduire à bout l’offensive, acceptant ipso facto la fatalité d’une pratique qui serait plus forte qu’une telle crédibilité.
Si l’engagement du chef de l’Etat est encore du registre de ces poudres circonstancielles dont l’on affuble le visage de l’opinion et que l’on a eu tôt fait de faire essuyer par le temps et ses contraintes, alors point n’eût été nécessaire de commencer. C’est au baromètre de l’engagement anti-Kpayo que l’on mesurera la capacité du pouvoir à amorcer d’autres réformes nécessaires et à les achever.
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